dimanche 22 septembre 2013

Si la famille m'était contée

Si la famille m'était contée

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Chapitre I

Mamie Jeannette Turland à Maxime 4 ans et demi et Suzanne 3 ans et demi mes petits enfants et à mes autres petits enfants à venir1.

A Orlhaguet, petit village près du canton de Ste Geneviève sur Argence, dans l'Aveyron, vivait autrefois, Pierre Turland, qui signa comme témoin des actes de vente et de reconnaissance de dot, chez des notaires de Ste Geneviève en 1621 et 1623. C'était peut-être le grand-père de:

  1. Jean Turland d'Orlhaguet décédé en 1754, époux de Catherine Cros (c'est le premier des ancêtres connu au sûr de la famille de mon père). Il a eu deux fils: Jean Turland marié vers 1730 à Marguerite Soubayrol de Vines,
  2. et Pierre Turland du Puech d'Orlhaguet dit "Midou". Il épousa en 1735 Raymonde Brauge d'Orlhaguet. Pierre était tisserand. Il a eu deux fils: Pierre Turland, tisserand aussi au Puech d'Orlhaguet, marié le 20 Juin 1757 à Jeanne Cambournac d'Orlhaguet,
  3. et Jean Turland qui était également tisserand au Puech d'Orlhaguet, qu'on surnomme « Midou » comme son père, marié le 21 Mai 1758 à Anne Carbonnel du Puech d'Orlhaguet. Ils eurent trois enfants: Madeleine Turland née le 7 Juin 1772, Marie Rose Turland née le 3 Mars 1775,
  4. et Jean Turland qu'on appelait aussi « Midou », époux de Marguerite Mondou de Malentraysse. Ils eurent 6 enfants: Geneviève 15 Pluviôse an 8, Suzanne née en 1805, Marie Jeanne née en 1811, Laurent né le 7-4-1812, mort le 13-7-1848, Jeanne née le 18-09-1816,
  5. et Jean Turland toujours au Puech d'Orlhaguet, né le 1-4-1808, décédé le 5-2-1860. Il était cultivateur. Il a épousé le 9-11-1852 Françoise Andrieu de Cassuéjouls. Ils ont eu quatre enfants: Marie Jeanne 14-10-1853 au 6-11-1853, Pierre 22-1-1855 au 16-3-1938, Marie née le 20-10-1856,
  6. et Auguste Turland 16-6-1858 au 11-4-1909 qui a épousé le 25 Octobre 1884 Rosalie Anaïs Gaillard de Rives du 7-2-1864 au 24-12-1945. Auguste Turland et Rosalie Anaïs Gaillard sont mon grand-père et ma grand-mère paternels.

Ma mémoire peut maintenant vous raconter ce dont je me souviens et ce que ma tante Anaïs m'a raconté d'eux.

Chapitre II

Le nom de TURLAND

Il2 ne faut pas attribuer trop d'importance à l'orthographe des noms propres, surtout aux époques reculées où peu de gens savaient écrire. Les noms de famille étaient à la merci du scribe de l'état civil! Et puis il y une évolution spontanée vers la francisation des noms occitans (MOULHAC devient MOULIAC) vers la simplification (TURLAND devient TURLAN), glissement insidieux qu'il faut sans cesse faire rectifier ...

Alors, TURLANDE ?, TURLAND et TURLAN ? On peut penser à une origine commune.. On admet qu'on a utilisé des « seconds noms » (en plus des prénoms) au XIIe siècle, à partir desquels se sont constitués les noms de famille (patronymes) héréditaires et fixes, vers le XIVe siècle. Le lieu d'origine pouvait (entre autres) donner des noms, et l'on peut penser que le village de TURLANDE (commune de PAULHENC, Cantal), berceau de la noble famille du même nom dès le Xe siècle, a plus tard donné ce nom à des personnes ou familles qui en étaient issues. On observe d'ailleurs un certain regroupement des TURLAN ou TURLAND dans le Nord-Ouest de l'Aveyron et le Sud du Plomb du Cantal, jamais très loin de ce lieu historique où subsiste une chapelle de pèlerinage.

Alors, TURLAND ou TURLAN? C'est un faux problème si l'on tient compte de l'occitan: dans la langue parlée, il est d'usage de désigner la femme par son nom de mariage mis au féminin. Or on dit toujours « lo Turlándo »., que le nom s'écrive avec AND ou AN, et jamais « lo Turlano ».

Par ailleurs (textes anciens, cartes ..) TURLANDE est parfois orthographié TURLAND.

ORLHAGUET

On avance souvent qu'Orlhaguet tirerait son nom de la noble et puissante famille d'ORLHAC (parente de celle de TURLANDE), issue des anciens comtes d'Auvergne, qui possédèrent longtemps la baronnie de Thénières, voisine et suzeraine de la terre d'Orlhaguet.

En fait, il faut remonter au moins au début du IXe siècle avec AURELIAGETUM (Orlhaguet actuel), chef-lieu de la VICARIA AURELIACENSIS (ou MINISTERIUM AURELIACENSE), qui allait de MESSILHAC (près de Vallon) à CHANIèS, selon les anciennes chartes.

Les chartes 37 et 38 (1060-1062) rapportent la cession à l'Abbaye de Conques des deux églises d'Orlhaguet (St Etienne et St Amans) par Gérald (seigneur de Mels?) et son frère Pontius (ou Pons) de TURLANDE (C'est semble-t-il, la première fois que l'on retrouve le nom de TURLANDE dans des écrits concernant la région.) Mais cette famille existait déjà au Xe siècle: Robert de TURLANDE (1001-1067), fils cadet de Géraud de TURLANDE et Raingarde de MONTCLARD, abandonna en 1043 son chapitre de Brioude pour la Chaise-Dieu, où il fonda la célèbre abbaye (canonisé sous le nom de Saint Robert).

L'actuelle église d'Orlhaguet, édifiée à l'emplacement de l'ancienne église St Etienne à l'époque romane, sur les ruines d'une époque troublée, puis remaniée au gothique, est surmontée de constructions massives élevées au XIVe siècle en vue de résister aux anglais.

Vers 1850 un sarcophage gallo-romain aurait été trouvé près de l'emplacement de l'ancienne église St Amans (vers la maison AUZOLE).

On trouve, dans le village et ses environs, plusieurs croix qui ne sont pas sans mérite d'exécution. En particulier, dix d'entre elles, de style analogue mais très variées, sont probablement l'oeuvre du même artiste: quelque prieur génial. La croix du Pont, l'une des plus belles, porte la date de 1561 et les initiales MIC qu'on lit sur la plupart des autres croix. Sur une autre on peut lire un fragment d'inscription; « Crux salvatoris protegat nos omnibus o ... »

Chapitre III

Mon grand-père Auguste Turland

Auguste Turland mon grand-père paternel est donc né au Puech d'Orlhaguet. Orlhaguet est un petit village (Le Puech est une partie du village ) à 3 km environ de Ste Geneviève sur Argence, au nord de l'Aveyron. Ce que je sais d'Orlhaguet est tiré de l'annuaire illustré de la « société amicale des originaires de Ste Geneviève, année 1911 , complété par des articles divers, notamment du Bulletin de la Haute Viadène».

Lorsque mon grand-père a eu 5 ans, c'était en 1863... A cette époque, les agriculteurs, souvent sur une ferme de petite surface, avaient des difficultés à vivre avec leur famille. Aussi, lorsque les enfants atteignaient cet âge, on les plaçait pendant l'été pour garder le troupeau dans une ferme des environs qui était souvent plus importante. L'été se comptait de Pâques à Toussaint. Le reste de l'année les enfants allaient à l'école (du moins la plupart). Mon grand-père y est allé.

Donc mon arrière grand-père a loué le petit Auguste, qui avait 5 ans et l'habitude d'accompagner les bêtes de la maison dans les pacages. Mais Jean qui aimait bien ses enfants, n'a pas tardé à aller par surprise, contrôler comment était traité son petit garçon chez son patron. Certains maîtres étaient parfois durs avec leurs petits bergers. Ayant constaté qu'il était mal nourri, il l'a ramené chez lui. Auguste a eu sans doute d'autres expériences meilleures chez d'autres patrons car je n'en ai pas entendu parler.

A cette époque, la paie se composait en général du coucher, de la nourriture, d'une paire de sabots neufs et d'une paie de 5 sous à la fin de la saison. Pendant ce temps les parents avaient une bouche de moins à nourrir. C'était important pour les familles à cette époque car elles survivaient difficilement sur ces petites fermes.

Le reste de l'année le petit garçon allait à l'école et au catéchisme. Après l'école il aidait souvent à la ferme, et emmenait quelques heures les vaches (ils avaient aussi quelques moutons) au pâturage collectif de la commune. On appelait ces terres des communaux. Les bêtes et les enfants du village s'y rencontraient. Tout en surveillant leur petit troupeau, les enfants jouaient seuls ou avec leurs petits camarades.

Les produits du troupeau, veaux et agneaux, étaient vendus aux foires du pays. Elles étaient nombreuses et on allait parfois loin à pied avec les bêtes dans l'espoir de les vendre mieux. C'était le seul argent qui rentrait dans les bourses des familles et on l'économisait le plus possible.

Pour la nourriture, on faisait avec les produits de la ferme. On élevait un cochon qu'on nourrissait avec des pommes de terre, du petit lait produit de la confection du fromage, même les eaux de vaisselle un peu grasses et les glands qu'on ramassait à l'automne par pleins sacs sous les chênes. A ce travail les enfants participaient comme à tous les petits travaux selon leur force et leur âge. On avait quelques volailles qui cherchaient autour de la maison une bonne part de leur nourriture. On leur réservait les triures des grains ou ceux de mauvaise qualité.

Pour cultiver les petits champs, on domptait une paire de vaches qui charruait la terre attelée à un araire (charrue formée d'un corps et de mancherons en bois avec à l'avant un soc en fer qui traçait des sillons en soulevant la terre).

La paire de vaches, attelée au char, faisait aussi le transport des pommes de terre, des gerbes de seigle, d'avoine, d'orge ou de sarrasin. Elles faisaient dans un tombereau le transport du fumier dans les champs, et sur un char, les sacs de blé vers le moulin et de la farine vers la maison. Les petits moulins étaient des moulins à eau sur les ruisseaux. Sur le char on ramenait aussi le foin à la grange pendant l'été.

La nourriture: Chacun faisait son pain dans son four ou dans le four commun du village. Avec la farine on faisait aussi des bouillies avec du lait. On y ajoutait quelques oeufs à la saison où les poules pondaient. On mangeait souvent le matin des crêpes à la pâte levée de farine de sarrasin. On appelait cela « les pascajous ».

Dans le jardin ou le champ, on cultivait des pommes de terre, des haricots secs, des choux, des pois, des raves, des carottes qui servaient surtout pour faire la soupe avec un morceau de lard salé, de saucisse sèche ou de viande de porc conservée dans la saumure. Cette soupe trempée de pain coupé en tranches était mangée 3 fois par jour, le matin, à midi et le soir. C'était la base de la nourriture. On mangeait aussi des pommes de terre confites3 dans la graisse de porc, du fromage fait avec le lait des vaches et de chèvres (on en avait souvent une ou deux avec les brebis), une volaille de temps en temps, souvent réservée aux jours de fête.

Si l'on pouvait élever quelques oies ou canards, on les mettait au confit, c'est-à-dire cuits dans leur graisse et conservés recouverts de graisse dans les toupines de grès pour quelques repas d'hiver. Dans chaque maison, on mangeait ce que l'on produisait.

L'argent était dépensé avec parcimonie pour les vêtements, les sabots, le sel, le sucre en pain et l'huile. Si on avait quelques noyers, on gardait les noix pour aller faire de l'huile aux moulins à huile. On y apportait aussi les noisettes sauvages. Il fallait payer le meunier pour l'huile et la farine ainsi que le docteur où on allait en cas d'extrême nécessité, ou plutôt qui venait souvent bien tard. On se soignait comme on pouvait, on connaissait les vertus de plantes. Ainsi on économisait le plus possible et souvent cet argent servait à acheter un peu de terre pour agrandir la ferme, afin que leurs enfants ou petits enfants aient une vie moins dure qu'eux.

Par tradition c'était l'aîné des garçons qui restait à la ferme. Les autres enfants cherchaient à gagner leur vie ailleurs dans un autre métier, à moins qu'ils ne se placent comme valets dans de grosses fermes.

Pierre était l'aîné, aussi Auguste quand il a eu 15 ou 16 ans a été loué pour la saison d'été et les grands travaux des récoltes. Puis il a émigré à Paris pour chercher du travail comme beaucoup de ses camarades.

A 20 ans, en 1878, il est inscrit au matricule du 5° bureau de recrutement de la Seine sous le n° 1683 classe 1878, par suite de changement de domicile. Son livret militaire porte son signalement.

Classé dans le service auxiliaire pour claudication, suite de fracture de la cuisse gauche, il a effectué son service dans la conscription de Rodez. Son livret porte le n° 1622 le 1er Juillet 1879. Son métier était garçon charbonnier. Il a continué ce métier à Paris après son service militaire.

Il fait un changement de résidence à St Mandé (Seine) le 17 Mai 1881, ensuite pour le 12 rue Oberkampf à Paris le 11-01-1883 et enfin pour le 14 rue Lesage, Paris le 15 Octobre 1883. Ce sont les adresses de ses employeurs successifs.

Il se marie le 25 Octobre 1884 avec Rosalie Anaïs Gaillard.


Livret Militaire

Avec Rosalie Anaïs, ils ont acheté un fond de commerce de bois et de charbon à la Varenne St Maur succédant à monsieur Antraygues, boulevard de Créteil.

Bientôt ils ont acheté une maison, non loin, je pense, de leur commerce, dans un petit jardin 29 passage des Ormeaux à St Maur. Il a décidé en 1889 de faire réparer cette vieille maison pour aller y habiter. Le 26 Juillet 1889, il commande un puisatier, M Masson, pour recreuser le puits avec une réserve d'eau d'au moins un mètre. Il doit payer les trois quarts; sitôt les travaux finis plus 24 francs en charbon de terre et le reste un mois après, prix total des travaux 137,19 francs. Le 5 avril 1889 il fait faire les 64m86 de mur de clôture du jardin pour 349,25 francs. Le 8 Mars 1890, les 2 cheminées de la maison sont posées avec leur rétrécissement en faïence et rideau, contrecoeur en brique et carreaux par la maison Jules Chemin pour 43 francs l'une, soit 86 francs. Le 2 Octobre, il a fait faire un escalier extérieur de 12 marches par Adolphe Montignies marchand carrier des carrières de la Pie pour 76,70 francs, 25 francs de charbon plus 34,45 francs à l'architecte au 4ème trimestre 1890.A Monsieur Balduc, menuisier, il commande des menuiseries pour la chambre à coucher de devant, la chambre à coucher de derrière, la salle à manger, la cuisine, le vestibule, une porte d'entrée en chêne, des portes d'intérieur en sapin, 4 croisées en chêne à 2 ventaux, 4 paires de volets persiennes en chêne, cabinet d'aisance, serrurerie etc.. Le tout payé le 16 Mars 1890 pour 56,18 francs (non pour l'achat de tout cela, mais pour des rectifications et des arrangements) et au milieu de tout cela le 1er Juillet 1889, l'achat d'une montre en or, double cuvette or N° 12778 et une chaîne or pour 300,00 francs (qui a été transmise à Gustou, à qui elle a été volée).

Ils ont dû s'y installer aussitôt fini. Déjà Anaïs et Jean Auguste, leurs deux premiers enfants étaient nés.

Le métier de charbonnier était un rude métier à cette époque. On livrait le charbon avec une charrette à bras. On montait le charbon, sac sur le dos, dans les appartements, dans les étages des immeubles où les gens se chauffaient avec des poëles et cuisinaient avec des cuisinières à charbon.

Ayant beaucoup peiné et transpiré, il a pris un jour un refroidissement et a été très malade de pleurésie. Il en a guéri mais est resté fragile.

Ils ont décidé de revenir à Ste Geneviève, travailler la ferme du père de Rosalie Anaïs. La vie serait plus saine à la campagne. Le changement de domicile est daté du 20-07-1891. Ils ont beaucoup regretté de vendre la maison qu'ils avaient si bien arrangée et où ils n'avaient vécu qu'un an.


Le premier toit à droite est le toit de la maison et de la grange de Guillaume. La maison à gauche, est celle bâtie par mon grand-père Auguste. Le toit du milieu recouvre la grange et l'étable bâtie par mon père pour agrandir celle de Guillaume.


A Ste Geneviève, ils ont eu 3 autres filles, Françoise Henriette dite Henriette en 1893, Marie en 1898 et Jeanne Emilie dite Emilie en 1902.

La santé d'Auguste n'était toujours pas très bonne. Il fût malade plus gravement et est mort en 1909, le 11 Avril. Ma grand-mère courageusement a continué de vivre sur la ferme.

Pendant le temps qu'il a travaillé à Paris, mon grand-père avait dû économiser et avec la vente de la maison de St Maur et de son commerce de charbonnier, il devait avoir une certaine somme. Aussi à son arrivée à Ste Geneviève, il avait fait bâtir une grande maison avec étable et grange attenante et c'est là qu'ils se sont installés d'abord. Il a fait faire une autre maison aussi près de la maison de Guillaume à la BARÈNE4 Guillaume était le père de ma grand-mère Rosalie Anaïs. Il a acheté encore quelques terres pour agrandir la ferme jusqu'à une dizaine d'hectares.

Je vous raconterai bientôt l'histoire de Rosalie Anaïs, de ses parents et de la ferme de la BARÈNE.

Quand mon grand-père était jeune, on racontait (et on croyait plus ou moins) beaucoup d'histoires fantastiques.

On croyait à un personnage maléfique « lou drac » assimilé un peu au diable. Un jour lou drac s'est caché dans le fil d'une bobine de fil blanc, un joli fil bien fin, attendant de jouer un mauvais tour à quelqu'un. Or ce fil fût acheté par une couturière du village qui s'en servait pour coudre une robe de mariée. Tout allait bien, la robe allait à ravir à la belle jeune fille. Lou drac aime bien paraître à son avantage. Le jour de la noce est arrivé, on est passé à la mairie où tout a très bien été et on s'est dirigé vers l'église. Comme on approchait du porche, la mariée au bras de son père dans son plus beau costume, s'est sentie soudain mal à l'aise; elle sentait sa robe vibrer sous elle. Tout le monde sait que lou drac et l'eau bénite ne font pas bon ménage. Et sitôt passé la porte, quand la jeune fille s'est signée, lou drac n'y tenant plus s'est sauvé à toute vitesse. Bien entendu, le fil étant parti, la robe est tombée en pièces autour de la mariée, rouge de confusion. Personne ne m' a jamais dit la suite.

Une autre fois lou drac s'était mis dans la peau d'un très beau bélier. Ah, il se régalait et en faisait voir de toutes les couleurs au petit berger, car les brebis le suivait bien sûr et toujours où il ne fallait pas aller! Mais ce petit berger était pieux, et un jour où, sans doute fatigué de courir, le bélier s'est couché, posant un oeil malin sur le petit, celui-ci, enfin tranquille, a fait un beau signe de croix pour commencer sa prière. Comme mû par un ressort, le bélier a fait un saut et a disparu de sorte que les brebis ne l'ont plus suivi. On ne l'a jamais revu.

Mon grand-père avait 15 ou 16 ans, a ce qu'on m'a dit. Et un jour qu'il revenait tard des champs, il a dû passer vers la croix, au fond du village, où l'on disait qu'on rencontrait souvent une « trèbo5 ». C'est le nom que l'on donnait alors aux âmes en peine ou revenants. M le curé disait que ce n'était pas vrai, que les âmes des morts étaient dans la paix de Dieu, pourtant, beaucoup disaient les avoir vues. Et justement dans le fossé de la route, presque devant la croix, il vit une forme blanche dans le crépuscule. Il ne pouvait faire autrement, il fallait passer dans le chemin. Son coeur battait, mais il avait son bâton à la main, et puis il était un homme! Le geste décuplé par la peur, il a asséné un violent coup de bâton sur la forme blanche qui a poussé un cri aigu et s'est enfuie à toutes pattes en grognant. Une truie! c'était une truie qui sommeillait dans les feuilles mortes du fossé. Auguste n'a jamais plus eu peur des trèbos.

Il y avait ceux qui n'avaient peur de rien, surtout lorsqu'ils revenaient des fêtes des villages à la nuit, en groupes. En passant près des maisons où ils connaissaient des peureux, ils faisaient silence en approchant et ils lançaient de lugubres hou! hou! en soufflant dans le trou de « l'ayguière » (évier de pierre taillée qui dépassait du mur). Puis ils partaient sans bruit, retenant un rire qui éclatait lorsqu'ils se trouvaient hors de portée de voix avec de grandes tapes dans le dos et des rappels de détails de l'aventure. On dit même que certains, recouverts d'un drap, jouaient les trèbos autour des cimetières et des croix. Mais certains parmi eux étaient revenus roués de coups de bâton par un passant nocturne peu crédule. Ils n'y étaient pas revenus une fois guéris, et ne s'en vantaient pas.


Au rang arrière : Jean-Auguste, Anaïs, Rosalie Anaïs, et Auguste - Devant: Emilie, Henriette, Marie

Chapitre IV

Ma grand-mère Rosalie Anaïs

Ma grand-mère était la fille de Guillaume Gaillard de Rives. Elle était née le 7 Février 1864 à Ste Geneviève. L'ancêtre le plus lointain connu de Guillaume était Bertrand Gaillard né à Rives en 1664 et décédé à 83 ans en 1747. Il était l'époux de Catherine Pégorier dite « la Bertrande » décédée le 15-11-1738. Elle était originaire de la paroisse de Campouriez.

Guillaume Gaillard (né le 17 Mai 1827, mort le 24 Avril 1884) exerçait le métier de sabotier. C'est lui qui avait acheté des terrains communaux, près de la rivière l'Argence, qui passe au bord du village de Ste Geneviève. C'était un terrain presque plat de quelques hectares. Au bout de ce terrain il a fait bâtir (ou peut être a bâti en partie lui même) une petite maison, attenante à une petite étable avec sa grange au-dessus.

Le terrain était une friche avec quelques rochers qui dépassaient du sol par endroits, de l'herbe et des épines. Le sol est posé sur un socle de granit pourri qu'on appelle de la pierre de Barène (en occitan peyro de Boréno). Aussi la petite ferme a pris le nom de « BARÈNE ». Cette terre a reçu au long des siècles les alluvions de la rivière qui a plus ou moins promené son lit dans la petite plaine (témoins les galets qu'on trouve un peu partout sur le sol). On a appelé le terrain « la devèze » car c'est là que Guillaume a mis ses premières vaches et moutons au pacage. Il devait faucher l'été les meilleures herbes, quand les bêtes pouvaient se nourrir dans les communaux voisins, et engranger ce foin pour l'hiver.

Il a dû acheter bientôt aussi un petit champ situé de l'autre côté du chemin qui passe devant la maison. Ce chemin conduisait à une grande ferme, reste du domaine d'un ancien château fort, la « Tourre du Mas6 ». C'était le chemin du Mas qui passait l'Argence sur le pont du Mas. C'était alors un pont de bois. On y a fait plus tard un pont de pierre qui a gardé le même nom.

Guillaume épousa Rosalie Viguier le 6 Août 1861. Malheureusement Rosalie Viguier est morte à la naissance de sa petite fille, Rosalie Anaïs, ma grand-mère. C'est la mère de Guillaume qui s'est chargée d'élever le bébé, à Rives. Guillaume ne s'est pas remarié et a pris sa petite fille avec lui, lorsqu'elle a eu 4 ans. On peut supposer qu'avant, Guillaume allait voir son bébé souvent à Rives et que sa mère venait aussi avec la petite Rosalie Anaïs lui rendre visite à la BARÈNE. Rives était par le vieux chemin à 2 km environ.

A cette époque la marche à pied ne faisait peur à personne. Pas même à une petite fille de 4 ans et un jour d'hiver, trompant la surveillance de Guillaume, la voilà partie retrouver sa grand-mère qu'elle devait beaucoup aimer. Son papa n'a pas cherché longtemps car il a vu les traces de petits pas sur la neige et est parti vite à Rives où il l'a retrouvée près de la cheminée où sa grand-mère la réchauffait. Il avait quand même eu un peu peur. A cette époque il restait encore quelques loups dans les bois. Peu, il faut le dire, et ils devenaient de plus en plus rares et peureux car on les chassait férocement. Mais lorsqu'ils étaient affamés quelques uns se hasardaient vers un troupeau de moutons.

Quelques années plus tard, lorsqu'elle gardait les quelques brebis de son papa, un loup, peut être le dernier, a essayé de voler une brebis qui s'était écartée un peu vers le tertre au-dessus duquel commençait le bois. Le chien dût avertir la petite bergère et elle vit le loup qui essayait de remonter le tertre en tirant la brebis par le cou. Elle courut et attrapa la brebis par les pattes de derrière et tira de toutes ses forces. Le chien s'en mêla et le loup surpris par cette attaque lâcha prise et la brebis tomba sur Rosalie Anaïs renversée en arrière. Je ne sais pas si la brebis a pu être sauvée mais, en tout cas, ce n'est pas le loup qui a fait un bon repas si on a dû l'abattre.

On racontait alors une autre histoire de loup qui était arrivée à un petit garçon. Il habitait une ferme un peu éloignée et se rendait à l'école. Comme il devait y passer la journée entière, il emportait avec lui sa petite marmite contenant sa soupe avec un morceau de porc salé. Avec d'autres camarades il la faisait chauffer à midi sur le poële de l'école. La soupe dégageait-elle un bon fumet ? Toujours est-il que le petit garçon s'est aperçu qu'un loup le suivait. Son coeur se mit à battre et il se mit à courir, mais le loup aussi accéléra le pas. C'est peut être ma soupe qu'il veut ! Et tout en courant il laissa tomber quelques trempes de pain sur le chemin. Le loup s'arrêta pour laper mais il reprit de plus belle sa course. Trois ou quatre fois, le petit garçon recommença le manège et le loup aussi. Mais le village se rapprochait. Il laissa tomber son morceau de viande et courut jusqu'à la première maison. Il était sauvé, car en plein jour le loup n'osait pas s'approcher des maisons. J'espère que le maître d'école lui offrit le déjeuner pour le récompenser de sa présence d'esprit et de son courage.

On parlait aussi du "cabretaïre" qui revenait la nuit après le bal du village voisin. Il a grimpé sur un arbre pour échapper au loup qui le suivait; mais le loup, patient, attendait au pied de l'arbre. Il faisait froid, l'homme s'engourdissait. Au bout d'une heure, sentant venir le sommeil, il s'est mis à jouer de la cabrette pour se réchauffer. Mais ces sons aigus et plaintifs ont surpris tant le loup qu'il s'enfuit la queue entre les jambes. Ah, racontait le cabretaïre, si j'avais su que les loups n'aimaient pas la cabrette j'aurais bien joué plus tôt au lieu de me geler sur mon arbre! Il était revenu jouant de la cabrette tout le long du chemin.

Rosalie Anaïs grandit donc près de son papa à la petite maison de la BARÈNE. Elle trottait derrière lui, bien leste dans ses petits sabots et a appris tout des bêtes, des plantes, du travail de la terre et bientôt elle a pris sa part des occupations de la ferme et de la maison.

La maison d'une pièce au rez de chaussée donnait sur une cour qui bordait le chemin du Mas. La porte d'entrée était à droite en regardant la maison et il y avait une fenêtre à gauche. Sous la fenêtre sortait le trou de l'ayguière, car à l'intérieur, en face de la fenêtre, était placé l'évier de pierre. Du coté gauche de l'évier, une partie surélevée, bien plane et ronde servait à poser le « farrat» d'eau. Le farrat était un seau en bois cerclé de fer à la manière des tonneaux. Guillaume le sabotier savait peut-être les faire. Dans le farrat on laissait en permanence la couade de cuivre (une sorte de louche, de puisoir). Lorsqu'on avait soif, on prenait la couade et on buvait directement puis on la replaçait dans le farrat.

Il avait creusé un puits dans la cour et c'est à ce puits qu'on tirait l'eau pour la maison et les bêtes.

La façade sur la cour était orientée vers le sud. Il n'y avait pas d'autres ouvertures que la fenêtre sur la cour, tandis que l'entrée se faisait par l'étable. La pièce était à peu près carrée et faisait environ 25 à 30 m½. En face de la porte était placée la table avec ses 2 bancs en bois sans dossier et en face, au fond, sur toute la longueur du mur, les deux lits en alcôve. Contre le mur, à gauche en entrant, le vaisselier, buffet construit directement contre le mur, sans fond. Il allait du coin jusqu'à l'âtre (la grande cheminée) qui lui faisait suite. Le vaisselier prenait ainsi appui sur l'angle des murs à gauche et sur le montant de granit taillé de l'âtre à droite. Au milieu de la pièce devait se trouver l'établi de sabotier.

Je m'imagine Rosalie Anaïs jouant le soir à la veillée avec les morceaux de bois et copeaux de toute forme qui tombaient pendant le travail de Guillaume, à la lueur du feu de cheminée et du « calel » (lampe à huile suspendue au mur ou au plafond) à moins que ce ne soit d'une chandelle. Peut être lui avait-il taillé une poupée en bois ou quelques petites écuelles.

Rosalie Anaïs allait à l'école distante de 300 ou 400 mètres et au catéchisme. En dehors de l'école elle suivait son père, l'aidant aux travaux de la ferme ou gardant les quelques bêtes qu'ils avaient.

Je ne sais rien de précis sur sa vie de jeune fille, mais je pense qu'elle ne s'est pas placée chez des étrangers. Guillaume était seul. Il avait besoin d'elle pour tenir la maison.

Le dimanche elle devait rencontrer ses amies à la sortie de la messe et après les vêpres. Elle allait avec son père aux foires et aux fêtes du village et des villages voisins pendant l'été et pendant l'hiver aux veillées qui se faisaient chez l'un, chez l'autre.

Elle avait juste vingt ans lorsqu'elle s'est mariée avec mon grand-père Auguste Turland.

C'est alors, comme je l'ai déjà raconté, qu'Auguste et Rosalie Anaïs ont travaillé à St Maur près de Paris; puis après la maladie d'Auguste, ils sont revenus à Ste Geneviève travailler la ferme de Guillaume. Anaïs avait 6 ans, Jean Auguste avait 4 ans. Il leur est né ensuite trois petites soeurs, Henriette, Marie et Emilie.

Quand Auguste mourût7, Jean Auguste avait 22 ans et avait déjà quitté la maison pour travailler à Paris. L'esprit d'entraide régnait entre les aveyronnais déjà installés à Paris et on prenait facilement un jeune compatriote pour lui apprendre le commerce. Ensuite on s'aidait financièrement en prêtant de l'argent aux plus jeunes quand ils voulaient s'installer.

Quand elle a été veuve, Rosalie Anaïs a continué de travailler la ferme à l'aide de ses filles et d'un employé pour les gros travaux de l'été8. Malgré sa constitution menue, elle était solide et courageuse, souple pour s'adapter à toutes sortes de situations, faisant tout pour que son fils se fasse une meilleure situation que la sienne à Paris.

Elle habitait toujours à la maison du village et louait les maisons de la BARÈNE. En 1921, lorsque mon père a décidé de revenir travailler la ferme, elle a installé une épicerie-mercerie dans la grande pièce du rez-de-chaussée qui était close par une vitrine. La cuisine était à l'arrière, assez grande, mal éclairée par 2 fenêtres placées en hauteur, car le terrain relevé, derrière la maison, formait un jardin. Les 3 chambres du premier étage donnaient de plein pied dans ce jardin.

Tout cela ne constituait que la moitié de la maison. L'autre moitié, semblable à celle là était louée à un pâtissier, Monsieur Roux, dont les descendants sont pâtissiers à Laguiole.

Mon père, Jean Auguste, étant pensionné de guerre, a obtenu le bureau de receveur des contributions indirectes, où il recevait les redevances versées pour le transport des vins et alcools, vendait les plaques pour les bicyclettes etc..

C'est Rosalie Anaïs qui a installé un bureau dans un coin de son magasin et a reçu les redevables au nom de mon père qui était ainsi plus libre pour s'occuper de la ferme. Elle s'est occupée de ce bureau, plus tard, aidée par sa fille Anaïs, jusqu'à ses 80 ans, en même temps que de son magasin.

On venait donc beaucoup chez ma grand-mère et elle venait à bout de tout, toujours affable, menue et voûtée. Avant de commencer sa journée, elle assistait en général à une messe très matinale, l'église n'était pas loin. Elle n'était jamais malade. Elle s'est alitée seulement quelques jours avant sa mort.le 24-12-19459. Elle avait 81 ans.


Rosalie-Anais avec Gustou


En haut, à gauche: Auguste Turland

En haut, à droite: Rosalie-Anaïs Gaillard

En bas: Ancienne église de Ste Geneviève où ils se sont mariés

Chapitre V

Mon père Jean-Auguste.

Il s'appelait exactement Jean Guillaume Auguste. On l'appelait toujours Auguste. Je dis moi, Jean Auguste pour le distinguer de son père Auguste.

Il est né le 26 Juin 1887. Lorsqu'il est arrivé à Ste Geneviève avec ses parents, il est allé à l'école du village, qui était presque en face de sa maison, jusqu'à 12 ans et a obtenu son certificat d'étude10.

Comme tous les enfants de son temps, il aidait ses parents pendant les vacances à la garde des bêtes11. Puis vers 17 ans il est allé travailler à Paris comme garçon de café.

Il faut remarquer qu'une évolution s'était produite dans le métier des émigrants vers Paris. Au moment de la jeunesse de mon grand-père on était charbonnier. Plus anciennement les aveyronnais étaient porteurs d'eau, c'est à dire qu'avant l'installation de l'eau dans les maisons de Paris, ils montaient l'eau dans les étages après avoir rempli leurs seaux aux fontaines publiques. A l'époque où mon père est allé à Paris on était plutôt cafetier, on disait « bistrot »; pour les charbonniers au temps de mon grand-père on disait « Bougnats12 ». Il a travaillé donc chez un compatriote, l'entraide était toujours en vigueur entre bistrots et comme les autres aveyronnais il a économisé pour acheter un café lorsqu'il se marierait.

Il s'est marié le 17 Janvier 1913 avec Germaine Brousse. Ils ont pris un commerce de vins-café. Germaine y cuisinait aussi un « plat du jour » que l'on servait à midi au 184 de la rue Cardinet à Paris 17 ème.13

Germaine et Jean Auguste ont eu d'abord un garçon, Germain François Auguste le 9 Décembre 1913. On l'a toujours appelé Gustou bien que son premier prénom soit Germain.

Afin de permettre à mes parents d'avoir plus de liberté pour travailler, c'est Rosalie Anaïs qui a pris le bébé chez elle et l'a élevé à Ste Geneviève. C'était une habitude dans beaucoup de familles à ce moment là.

Un an après la grande guerre a éclaté et mon père fut mobilisé comme tous les hommes de France. Pendant toute la guerre, Germaine est restée à Paris tenant ouvert son café - plat du jour. Une de ses belles soeurs, Marie, est venue habiter avec elle pour l'aider.

Au cours de la guerre, Jean Auguste a été blessé une première fois à un bras.

Il est resté un an environ soit dans les hôpitaux, soit en convalescence. Lorsqu'il a été guéri il est reparti avec ses camarades. Une deuxième fois il a éte blessé et il a perdu une jambe. La guerre était finie pour lui. Après sa guérison il est revenu à Paris avec Germaine.

Je suis née bientôt après le 14 Décembre 1919, moi, Jeanne Germaine Marie Turland. On m'a toujours appelé Jeannette. Bientôt après, mes parents ont décidé de quitter ce Paris où ils avaient vécu si peu ensemble. Lorsque j'ai eu 6 mois, Rosalie Anaïs est venue me chercher et m'a emmenée chez elle pour attendre qu'ils aient vendu leur commerce.

Ils sont venus me rejoindre en 1921. A partir de ce moment là nous avons habité la maison de la BARÈNE, mon père, ma mère, mon frère Gustou et moi.

Ma tante Anaïs est venue aussi habiter avec nous pour aider maman à tenir la maison, car mon père était handicapé à cause de sa jambe. Germaine travaillait beaucoup à la ferme avec lui. Ainsi j'ai été beaucoup en contact avec ma tante Anaïs qui aimait me raconter les histoires d'autrefois.

J'ai eu un petit frère René né le 31 Mai 1922 et un autre plus tard, Michel14 né le 13 Septembre 1933.

Jean Auguste et Germaine ont pu profiter, tout au long de leur vie à la BARÈNE, de beaucoup de progrès qui ont été réalisés par rapport à la manière de vivre de leurs parents. Vers 1930 ils ont pu participer à l'adduction d'eau du village. Déjà dès son arrivée à la BARÈNE, Jean Auguste avait installé une pompe à main dans la maison et aussi dans la petite maison de Guillaume, amenant l'eau du puits sur l'évier. Puis vers 1930 ce fut le robinet à pression. Presque à la même date, on a installé l'électricité dans le village et Jean Auguste a payé la ligne pour arriver jusqu'à notre ferme, 200 m environ. Nous avons été la première ferme à avoir la lumière électrique et à pouvoir écouter un poste de T.S.F. Ayant connu la ville, ils étaient ouverts au progrès. La cuisinière à bois a remplacé tout de suite le feu de cheminée pour la cuisine. Comme il se déplaçait avec difficultés il a acheté bientôt une auto. C'était je me souviens une Torpédo Peugeot modèle 1920, 9 CV, décapotable. Elle était rouge.

Il était très adroit pour travailler le bois et faisait toutes sortes de choses pour la ferme, claies, brouettes, chars, tombereaux, etc..

Il aimait s'occuper de l'association des anciens combattants, mais aussi des associations paysannes qui se formaient. Il était correspondant d'une compagnie d'assurance15.

Il chantait très bien et nous en faisait profiter aux fêtes de famille et aux banquets16. Il faisait partie du choeur de chant à l'église du village.

Pendant quelques années il a ouvert un petit café à la maison du village, dans la boutique qui était autrefois celle d'un pâtissier. On ne l'ouvrait que les jours de foire car le foirail était à coté. C'étaient ses soeurs Marie et Anaïs qui s'en occupaient. Il y avait alors une foire par mois et on y venait beaucoup. Quand les foires n'ont plus eu de succès, après la guerre de 39-45 on a fermé le petit café ainsi que la petite épicerie de Rosalie Anaïs.

Pour prendre sa retraite, Jean Auguste a loué les terres de la BARÈNE et est allé habiter la maison du village. Il y mourut le 13 Mars 1964.

à gauche, l'école où allait Jean-Auguste et ses soeurs. Leur maison était à l'entrée du village. On ne la voit pas mais elle était tout près.


Jean Auguste à Paris.

Jean Auguste chasseur alpin à Menton.

Jean Auguste Soldat en 1914.

Jean Auguste le bras en écharpe, le deuxième en commençant à droite

Maminette bébé

Chapitre VI

Voici Maintenant l'histoire de la famille de ma maman Germaine Brousse.

Le père de Germaine s'appelait Germain Brousse. Les parents de Germain possédaient une petite ferme dans les gorges de la Truyère (rivière du nord de l'Aveyron) appelée AURIÈRES. C'est là qu'il est né ainsi que ses frères et soeurs, Pierre-Jean, Marie, Hortense, deux autres filles dont je ne connais pas le prénom et Jean.

AURIÈRES se situe sur le versant des gorges en dessous du village de Montézic. En face sur l'autre versant se trouve le vieux château fort de Vallon. AURIÈRES est un ancien ermitage. Au moyen âge un ermitage comprenait une cellule, un oratoire, un puits ou une source et un jardin. Les ermites y vivaient de dons testamentaires de petite valeur qui à force de se répéter ont permis aux ermites de créer un petit capital. Les ermitages ont existé jusqu'à la révolution de 1789, quelquefois sans véritables ermites. On les connaissait aussi sous le nom de domerie ou même de bodonies. C'était le supérieur du séminaire de St Geniez d'Olt qui était à la fois dom d' AURIÈRES et Cadamarans.

C'est donc après la Révolution que les ancêtres de Germain durent acheter les terres d'AURIÈRES. Ce sont des terrains très en pente qui descendent en cascade jusqu'à la rivière, plantés de bois de châtaigniers. Au bord de la Truyère on a défriché quelques petits champs.

Quand j'ai pu la photographier, la maison etait telle qu'elle était autrefois. L'étable pour les chèvres, la mule ou l'âne et les cochons, se trouvait au rez-de-chaussée. En haut de l'escalier de pierre la porte de la maison, devant le four. Un haut mur soutenait un jardin sur le côté bas à gauche du chemin qui arrive à la maison.

Il y a plusieurs sources non loin de la maison. En haut de l'escalier de pierre, la porte s'ouvre dans l'unique pièce avec à gauche la petite lucarne au-dessus de l'évier et à droite la seule fenêtre. Cette pièce servait à la fois de pièce à vivre et de chambre à coucher dans les alcôves. La cheminée était au pignon à droite. Le bâtiment qu'on voit à droite, en noir, était un abri où se trouvait le four à pain et où on entreposait le bois sec.

C'est là qu'a été élevée cette famille de sept enfants. Ne nous étonnons pas qu'ils soient partis chercher du travail plus loin. Un seul, je crois, Pierre-Jean est resté à AURIÈRES. J'ai connu son fils Eugène qui a vendu AURIÈRES et a trouvé une ferme plus importante pour élever sa famille dans le Tarn et Garonne.

Jean, lui, allait travailler jusqu'en Espagne, en Catalogne, où il se louait comme scieur de long pendant l'hiver. L'été il revenait au pays pour les fenaisons et les moissons. C'est en Catalogne qu'il a rencontré Teresa. Ils se sont mariés et ont eu deux enfants, Juan et Concepción. Au bout d'une quinzaine d'années, Jean a voulu se fixer définitivement en France, mais Teresa et Concepción, trouvant notre climat trop rude, sont reparties vivre en Espagne.

Nous avons retrouvé Concepción en 1973 et nous nous sommes écrit. Elle était heureuse de retrouver ses cousins un peu oubliés. Et nous avons rencontré ses enfants, Maria Luisa et Narcis, en 1985 à San Felix de Guixols. Quant au fils de Jean il a été tué à la guerre de 14-18. Jean finit sa vie dans une petite maison dans les châtaigneraies au-dessus de Panis de St Gervais. Il a vécu seul, travaillant comme ouvrier agricole et fervent de pêche à la truite et de braconnage dans la Truyère. Pour tous il était l'espagnol.

Germain17, mon grand-père maternel, est allé chercher fortune à Paris comme bistrot. Il s'est marié avec Marie Boutié, une presque voisine d'une autre ferme des gorges de la Truyère, le Mas de Saint Gervais.

Il mourut jeune d'un refroidissement pour être descendu à la cave mettre du vin en bouteille après avoir beaucoup transpiré18. Il a eu le même destin, mais plus rapide, que mon grand-père Auguste.


AURIÈRES à la fin des années 1970

Marie Boutié

Germain Brousse


Voici l'histoire de la famille de ma grand-mère maternelle Marie Boutié.

Les grands parents de Marie Boutié avaient une ferme sur une arête de terrain au-dessus du confluent du ruisseau des Ondes avec la Truyère. Cette ferme faisait face au village actuel du Brézou. Leur ferme s'appelait « La Vigne ». Il y avait un peu plus haut une autre ferme « Le Fau » et en continuant le chemin on rejoignait le village de Bénaven à 3 km environ, lui-même se trouvant à 9 km de Ste Geneviève.

A la Vigne, il y avait une petite maison attenante à une petite étable. La maison était composée d'une grande pièce appuyée à un rocher qui servait en partie de mur à l'arrière. Dans ce rocher on avait creusé quelques niches servant d'étagères pour la vaisselle, le calel ou la chandelle. Le rocher était surmonté par une partie du mur jusqu'au toit. Le toit était à quatre pentes (un toit fantaisie pour l'époque). Sur la façade il y avait une porte, une fenêtre et une lucarne au-dessus de l'évier. La petite étable était au Sud Est19 pour abriter les chèvres, les moutons et les cochons. Il y avait aussi une mule.

En contrebas de la maison, on trouvait le jardin potager, la vigne et le verger. Au-dessus de la maison il y avait quelques petits champs et aux endroits les plus escarpés, en descendant vers le confluent des rivières, des bois d'essences diverses et des châtaigniers. On mettait un peu de foin dans le grenier pour les plus mauvais jours. Mais la ferme se trouvant à une altitude assez basse (440 m env.), il n'y avait que très rarement de la neige.

A la Vigne sont nées Sophie Duranton, mon arrière grand-mère, Marie sa soeur et trois frères. L'un d'eux, Prosper, a travaillé à Paris et a vécu très vieux. Je ne connais pas le prénom des deux autres frères. L'un a vécu à Rives et l'autre a émigré en Amérique du Nord mais on n'a jamais eu de ses nouvelles.

La mère de Marie Boutié.

Sophie avait un oncle qui possédait un restaurant à Paris. Cet oncle avait deux frères du nom de Batifolié qui étaient patrons de petites voitures qu'ils louaient pour des petits métiers de la rue comme rémouleur, marchands des quatre saisons, merciers ambulants, etc..

Toute la famille Duranton à la Vigne vivait du blé, des cochons, de quelques volailles et des légumes du jardin. Les cochons s'élevaient en semi-liberté dans les bois et revenaient le soir pour boire le petit lait qui restait de la fabrication du fromage, les cabécous, que l'on allait vendre à la foire et que l'on mangeait à la maison. Il ne manquait pas de fruits tout au long de l'année. Il y avait les cerises, les pêches, les pommes, les châtaignes et les mûres sauvages. On buvait bien sûr le vin de la vigne. Je sais que Sophie allait à Ste Geneviève les jours de foire avec la mule et la voiture pour vendre les cerises ou les châtaignes. Elle partait la nuit pour être au petit matin sur la foire.

Les travaux s'étalaient tout le long des saisons. Il y en avait une part pour chacun: labourer avec l'araire, semer, sarcler, récolter, bêcher, piocher la vigne, faire le vin, faire le pain, surveiller et traire le petit troupeau, faire le fromage. Mais on mangeait à sa faim et on dansait bien aux fêtes des villages voisins. On attelait la mule pour s'y rendre. Cela me fait penser à la vielle chanson:

« Toutjoun la vielha crida, qu'acabaren tout (bis)

les quatre feris de l'ase, o maï lou caretou

Et quand oren tout acabat

fumaren la pipa san tabac»

Allaient-ils à l'école? Il y avait une bible à la maison.

Vers ses 20 ans, Sophie a épousé l'un de ses voisins sur l'autre versant du ruisseau des Ondes «Le Mas de St Gervais». Il s'appelait Boutié. Je crois que son prénom était Jean. Elle est allée vivre au Mas de St Gervais. Ils ont eu huit enfants, Victor, Henri, Marius, Marie, Eugénie, Léontine et Mathilde. Victor est resté à la ferme. Henri et Marius sont partis vers le midi de la France dans des fermes. Eugénie s'est mariée dans la région de Villefranche de Rouergue à la terre aussi. Léontine est partie à Paris avec son mari comme bougnat. Joséphine est devenue religieuse. Mathilde avec son mari s'est installée aussi dans le midi de la France près de ses frères. Marie était ma grand-mère. Elle s'est mariée avec Germain Brousse.

Marie et Germain sont allés s'installer à Paris. Ils ont eu d'abord deux petits garçons. Selon l'habitude du pays, la grand-mère est venue successivement20 chercher les enfants, sitôt la maman remise, pour les élever au Mas. Malheureusement à la descente du train à Aurillac il ne restait que la diligence puis la carriole pour rejoindre Le Mas de St Gervais. Chacun à leur tour les bébés sont morts d'un refroidissement à la suite de ses voyages sans confort.

Aussi lorsque Germaine, ma maman, est née, décidèrent-ils de la garder avec eux en prenant une employée pour la garder.

Un client ami l'emmenait régulièrement se promener dans Paris. Elle eût ainsi l'occasion de visiter l'Exposition Universelle de 1900 ... et de monter sur la Grande Roue21.

Le séjour en Normandie.

Lorsque22 Germain Brousse est mort elle avait 9 ans. Sa maman l'a confiée alors à une cousine qui vivait en Normandie, à Randonnai (entre Laigle et Mortagne) avec son mari, « l'oncle Coudely », un catalan qui faisait des sabots dans la Forêt du Perche... et cultivait ses piments dans le jardin familial. (goûte - c'est bon!) Elle y est restée jusqu'à 13 ans et y est allée à l'école. Elle était heureuse chez eux et me racontait souvent sa Normandie. Le cousin coupait le bois nécessaire dans la forêt avec les compagnons qui travaillaient avec lui. Il faisait les sabots dans une cabane. Ils faisaient ensemble des promenades en forêt où il lui apprenait à connaître les plantes, les fleurs et les animaux. Il y avait aussi la cousine qui lui apprenait la couture et le crochet.

Elle avait gardé le souvenir tenace du passage d'une « tornade » (dévastant une bande de terrain sur son passage, pendant un orage.) Avec le vent violent, l'eau s'insinuait entre les tuiles et il pleuvait dans toute la maison. Elle se voyait encore, terrée dans un coin avec sa tante, craignant à tout moment que la toiture ne s'arrache. C'était une construction légère... La tornade s'est arrêtée à temps.

Tous les villages et les routes du voisinage lui étaient familiers, car elle accompagnait souvent l'oncle Coudely quand il allait vendre ses sabots dans les foires, avec le cheval et la carriole. Elle avait gardé une mémoire précise des lieux, et on peut tenter de reconstituer à peu près le périmètre de cette activité, limitée par Laigle, Moulins-la-Marche, Mortagne, Rémalard, La Ferté-Vidame, Verneuil ... en gros une vingtaine de kilomètres autour de Randonnai. Hélas parfois, quand il était seul, l'oncle Coudely, au retour, était un peu « pompette », et le cheval conduisait seul, à sa fantaisie... Un jour, la cousine vit revenir le cheval seul, traînant la charette... Elle avait versé dans le fossé. On retrouve l'oncle, sans blessure grave en apparence, mais à partir de ce moment là il déclina, et mourut quelques mois plus tard.

C'est sans doute après ce triste évènement que la cousine alla habiter à La Lande, petite commune aux sources de l'Eure. Germaine devait avoir 11 ou 12 ans.

Sa scolarité à Randonnai avait été bonne; c'est là qu'elle avait affirmé avec assurance, à ses camarades et au maître: « mais si! chez moi, on trait les moutons » Il le lui fit répéter plusieurs fois pour lui dire enfin « je pense que c'est plutôt des brebis qu'on tire le lait »; elle en était encore confuse.

A La Lande, petit village, c'était le régime de la classe unique; une ribambelle d'enfants de 7 à 12 ans étaient confiés à une institutrice débutante qui paraissait aussi jeune que ses plus grandes élèves. Entre elle et Germaine, adolescente à la maturité précoce, semble s'être établie une complicité et , pour se consacrer davantage aux plus grands (certificat oblige ...) elle demandait parfois à Germaine de s'occuper des petits. Il faut dire qu'elle avait un bon niveau, comme l'indique cette anecdote: l'institutrice lui donnait un problème, et quelques minutes après le résultat fusait: « ça fait tant! » - Attendez Germaine, j'ai pas fini!23

Après son certificat d'étude elle quitta sa cousine pour revenir un peu au Mas de St Gervais chez sa grand-mère. Elle y a passé un an et en a gardé un souvenir extraordinaire. Elle en parlait souvent. Avec sa tante Mathilde, âgée de seulement quelques années de plus, elles ne se quittaient pas que ce soit pour garder les brebis ou pour ramasser les châtaignes que l'on faisait sécher au « sécadou ». Une fois sèches on les appelait « horion24 » et on les mangeait l'hiver. Le « sécadou » était une cabane en pierre dont le plafond était fait de lattes de bois croisées. C'est là dessus qu'on étalait les châtaignes et on entretenait chaque jour un feu au-dessous. La chaleur et la fumée passant entre les lattes déshydrataient les châtaignes.

Il y avait au printemps les cerises qu'on allait cueillir, les prunes, les pêches si fondantes, les pommes pour le cidre. Une partie de ces fruits se transformait en alcool avec le petit alambic. On en vendait une partie, l'autre servait pour se soigner.

C'est cette année là qu'elle a passé une partie de l'hiver à la petite maison de la Vigne avec Mathilde; C'était l'hiver 1910, qui fut terrible sur la montagne et provoqua les plus grandes inondations de Paris, en janvier.

Alors qu'une épaisse couche recouvrait uniformément les plateaux, le peu de neige tombé à la Vigne (440 m d'altitude) n'avait pas tenu. Avec le troupeau de brebis elles étaient donc parties toutes les deux, car l'absence de neige permettait aux bêtes de se nourrir de l'herbe une paire de mois au moins. Avec la mule on venait les ravitailler de temps en temps. Sans autre occupations que de surveiller les brebis et faire leur cuisine, elles ont passé un hiver qu'elles disaient enchanteur. La vieille bible reliée de cuir était encore là. Elles n'avaient que leur chien pour compagnon. Il y avait les chèvres pour le lait et les petits fromages, la farine pour les crêpes, quelques oeufs, le porc salé et les pommes de terre. Elle s'étonnaient de la neige au Mas alors qu'à la Vigne les pêchers fleurissaient au soleil de février. Elles appréciaient leur amitié et leur liberté. Quand elle voulait s'isoler pour lire, Germaine s'installait sur le puissant rocher de granite au dessous de la maison, dominant la Truyère de plus de 100 m. C'est de là qu'elle a assisté, fascinée, à un des plus impressionnants spectacles de la nature: la grande débâcle de printemps, charriant toutes les glaces de cet hiver hors du commun, par une Truyère que n'entravait encore aucun barrage25. Elle nous décrivait l'énorme torrent d'écume charriant, avec les glaces, du bois, des blocs de roche, des objets divers arrachés en amont par l'inondation; aux détroits du lit, entre les falaises, s'accumulaient les glaces et les débris, formant des barrages hauts de 20-30m qui se brisaient enfin dans un fracas épouvantable. Un spectacle digne du grand Nord.

Alors qu'elle était adolescente, Marie, sa maman, se remaria avec François Cancelier, son employé depuis plusieurs années. Il a été un excellent père pour Germaine. Elle l'aimait beaucoup ainsi que le petit frère, François, qu'ils lui ont donné. Après la naissance, Germaine est revenue à Paris et s'est occupé du bébé. Elle avait 15 ans. Quelques années plus tard Marie et François ont acheté une ferme près de Ste Geneviève (Les NOYERS) après avoir vendu leur commerce. C'est ainsi que Germaine, ma maman, a rencontré mon père Jean Auguste. Ils y ont vécu le reste de leur vie avec François fils, sa femme Virginie et leurs petits enfants, Emile, Bernadette et André.

L'arrivée de la diligence


Ma maman Germaine Brousse.

Je viens déjà de raconter son enfance26. Elle avait 17 ans et demi lorsqu'elle s'est mariée avec mon père Jean Auguste Turland en 1913. Ils sont partis aussitôt à Paris. Ils ont eu leur premier bébé un an après mais leur bonheur a été de courte durée puisque la guerre a éclaté en 1914. On a mobilisé son mari tout de suite. Marie, sa belle soeur, est allée chez elle pour l'aider. Malgré son jeune âge elle a été à la hauteur. Elle a fait travailler son café en face de la gare des Batignoles. Elle a réussi à conserver ses clients, les employés de la gare à qui elle préparait le repas de midi. Ils étaient nombreux à venir manger son plat du jour.

Elle partait aux halles avec le métro, au petit matin, faire son marché. Elle me parlait souvent des bons et des mauvais jours avec la grosse Bertha qui tonnait, les armées ennemies qui approchaient de Paris, les blessures de mon père.

Alors ont commencé les séjours dans les hôpitaux du front de campagne, les opérations sommaires, puis plusieurs hôpitaux successifs à l'arrière pour une longue convalescence, et encore d'autres opérations.

Germaine lui rendait visite dans la pagaie générale causée par la guerre, les voyages interminables par des trains de voyageurs désorganisés (priorité aux convois de l'Armée...) Ce fut d'abord Ognon (Oise), hôpital de tentes où se côtoyaient visiteuses et infirmières volontaires (souvent issues de « grandes familles »), s'entraidant parfois dans des structures improvisées et débordées, où elle a pu rester un moment avec lui et parler avec l'infirmière qui le soignait.

Plus tard, ce fut Soisy-sous-Montmorency, aux portes de Paris, où elle avait été bien étonnée de trouver un pays « attardé », avec le tas de fumier dans la rue et les femmes en caraco ....

Enfin il se retrouva à hôpital de Bourges pour la convalescence. La guerre était finie pour lui. Après sa guérison il est revenu à Paris avec Germaine.

Avec Marie, elles allaient faire des promenades le dimanche après midi quand le bistrot était fermé. Elle parlait enfin des bons et des mauvais jours, et des petites choses qui donnent un peu de bonheur quand on est jeune même aux époques les plus dures. Elle pensait à quelques séances de cinéma, aux promenades dans le jardin des Tuileries ou dans le jardin des Plantes. Elle se souvenait des petites porcelaines de Chine ou du Japon. Parfois il en tombait des colis sur les quais de la gare et les employés les lui portaient en venant manger à midi, chez la rouquine. C'est ainsi qu'ils la surnommaient bien qu'elle ne soit que blonde avec des yeux bleu clair27

Remis, Jean Auguste était rentré chez lui quelques mois avant l'armistice de 1918. Il avait réappris à marcher avec une jambe artificielle. Ils étaient enfin réunis et la guerre était finie. Ils avaient envie d'une vie plus tranquille que la vie parisienne, surtout que je suis née le 14 Décembre 1919. A la demande pressante de Germaine, ils ont décidé de vendre leur commerce et de revenir à la ferme.

Germain Auguste (Gustou) était déjà chez sa grand-mère. Lorsque j'ai eu six mois on m'y a aussi emmenée, mais pas pour longtemps. Les parents nous ont rejoints en 1921 et nous avons été réunis à la maison de la BARÈNE. Ma tante Anaïs est venue s'installer avec nous pour aider Germaine à tenir la maison, car elle devait aider mon père dans les travaux de la ferme.

A partir de ce moment ma vie se confond avec la vie de ma maman.


De gauche à droite devant leur « bistrot », un client portant le petit François et son chien, Germaine 15 ans et Marie sa maman.

Germaine à cinq ans

Germaine Brousse à 20 ans

Germaine à 80 ans dans le jardin de la maison du Riols à Ste GENEVIEVE, sa colombe sur l'épaule.

Chapitre VII

Maminette

C'est le nom que mes petits enfants me donnent aujourd'hui.

On m'appelait Jeannette. Mon tout premier souvenir d'enfance est assez confus, mais je me souviens d'une énorme dépouille de cochon, ouverte au milieu de la cuisine sur une couche de paille. Tout le monde s'affairait à la dépecer. Des conversations, j'ai retenu que c'était le premier qu'on faisait dans cette maison. Je devais avoir deux ans environ. Je marchais déjà très bien quand je me revois assise dans un haut landau à grandes roues où je demandais à aller, avec quelques babioles, quand je voulais être tranquille.

De la naissance de mon petit frère René, j'avais 2 ans et demi, je me souviens d'une seule chose, on avait changé mon petit lit de place. On avait placé le mien pendant quelques jours près de papa afin de mettre le berceau de René du côté de maman, puis quelque temps plus tard dans le coin de la chambre. C'était un petit lit de fer, et avant de m'endormir je me berçais seule, pour faire grincer les coins du lit et cette gentille musique m'aidait à m'endormir. Je dormais sur une paillasse de feuilles de hêtre.

A cette époque nous avions un grand chien nommé Zouzou. Du moins me semblait-il très grand. C'était un corniaud, un peu loup d'après l'image que j'en ai gardée. Nous nous entendions très bien. Il couchait sur un sac dans le trou cendrier creusé dans le mur de la cuisine. Quelquefois je prenais sa place un moment, j'y retrouvais son odeur. Quand je jouais avec des noisettes il venait les croquer, c'était son régal. Il les cassait d'un coup de dent et prestement happait l'amande. Un jour je lui ai volé l'amande et toute fière j'ai couru en criant « il est gentil Zouzou, il me casse des noisettes ».

Je rangeais au fond d'un petit placard quelques joujoux de bois, une famille de chats en chiffons bourrés de son, et je m'enfonçais dedans pour aller les chercher, tant que ma petite taille me le permit.

J'aimais m'installer dedans un moment ainsi que dans le placard à chaussures sous l'escalier. Pourquoi est-ce que j'aimais ces retraites plutôt malodorantes ? Je ne sais pas mais j'ai gardé le souvenir de ces odeurs et de mon plaisir. Mais Zouzou ne laissait personne d'étranger s'approcher de moi et m'aurait défendue avec courage et avec ses dents selon ce que l'on m'a dit.

Maman avait tout de suite entrepris la vente du lait de nos vaches aux familles du village qui venaient le soir le chercher, sitôt trait, avec leur boites à lait. Ainsi nous avions chaque jour leur visite. Le mari de la maîtresse de l'école maternelle, Jean, venait chercher le lait chaque soir. Il était sourd. Il parlait d'une voix monocorde que je n'ai pas oubliée, surtout ce jour où ayant été faire mes petits besoins le pan arrière de ma culotte "petit bateau" pendait sous ma robe, il dit « Jeanne perdes la toualla» (Jeanne tu perds ta couche). J'étais très vexée car j'avais une vraie culotte, pas une couche comme René. Je le retrouvais à la maternelle et je n'étais plus vexée quand il reboutonnait ma culotte. Il aidait Jeanne sa femme aux soins des enfants. C'est lui qui est venu me chercher le jour où dans le WC rustique de l'époque, j'avais enfilé mon pied dans le trou. Le ridicule de ma situation m'empêchait d'appeler et en voyant que je tardais il est venu m'ouvrir. Il n'aurait pas entendu d'ailleurs puisqu'il était sourd mais malgré sa surdité il était très attentif aux enfants.

Comme aujourd'hui les enfants aimaient à jouer avec les marrons d'Inde. Un jour en sortant de l'école avec trois camarades, trois frères voisins de ma grand-mère, nous sommes partis pour aller en chercher sous les grands marronniers de M le Maire. Comme ma grand-mère chez qui j'entrais tous les jours en passant s'étonnait de mon retard, je trouvais une excuse valable (déjà rusée).

Je me souviens de trois chansons qu'on apprenait à l'école:

«Il était un avocat

Dans une auberge il entra

Une arête l'étrangla »

dans une boite de tabac, (au lieu de tour tour larirette que l'on dit d'habitude).

«Il était un petit navire » et « Le bon roi Dagobert».

J'ai reçu en cadeau un joli petit panier que j'ai encore sur mon bureau. Il m'a servi longtemps à ranger ma dînette.

C'est à ce moment là que Jean Auguste et Germaine sont partis pour un pèlerinage à Lourdes qu'ils avaient promis de faire au moment des grandes épreuves de la guerre. Je me souviens qu'ils nous ont rapportés à René et à moi un cerceau à musique qui était une petite merveille pour nous.

Ils avaient projeté aussi de faire le voyage de noces qu'ils n'avaient pas fait à cause de la guerre. Ils devaient aller dans les Alpes Maritimes où mon père avait fait son service militaire dans les Chasseurs Alpins. Ils en ont parlé quelquefois mais ils n'ont jamais réalisé ce projet.

Au moment de mes 6 ans, des religieuses ont créé une école de filles dans le village et c'est là qu'on m'a inscrite. J'y restai jusqu'à mon certificat d'étude que j'ai obtenu à 13 ans. Ah, la liberté quand on a 6 ans! Un soir je suis partie à la découverte d'un chemin qui partait à coté de l'école vers le village d'Orlhaguet. J'ai fait environ 300 mètres, et j'ai découvert une fontaine qui déversait son eau claire dans un petit abreuvoir de pierre garni de mousse et de fougères. La fontaine qui m'avait paru grande, je la retrouvais ridiculement petite plus tard, j'avais grandi. J'accompagnais René à la maternelle et il parait que j'étais attentive. Une fois, on m'a raconté, je l'ai défendu à coup de cartable des taquineries de quelques camarades.

Une veuve qu'on appelait « la fenneta » la petite femme, louait la maison de Guillaume. Elle y vivait avec sa fille Antoinette qui travaillait comme servante. Le grand plaisir de la fenneta était de m'appeler chez elle pour me faire gober un oeuf frais de ses poules. Je l'aimais bien et plus tard je restais familière avec elle, même lorsqu'elle a habité dans une autre maison du village et travaillé à carder la laine pour les matelas.

A cette époque nous allions à l'école en sabots l'hiver, en petites galoches à la meilleure saison. On avait même une chaufferette que nous pouvions apporter à l'école. A cause du danger des braises on m'avait acheté une chaufferette à eau chaude que j'emportais avec moi. Dans mes sabots j'avais des chaussons de feutre. On quittait les sabots en entrant à l'école et on s'installait les pieds sur la chaufferette. Le gros poêle à bois en fonte ronflait au milieu de la classe. Cela nous paraissait le sommet du progrès. Dans nos maisons nous n'avions que des lampes à pétrole qui n'éclairaient bien qu'un rond de 50 cm sur la table, alors avec les grosses lampes à gaz pendues au plafond la classe semblait tout illuminée.

A la maison dès mes 6 ou 7 ans, j'avais le droit d'entretenir le feu dans l'âtre où cuisaient les pommes de terre des cochons dans un grand chaudron de cuivre. J'étais très fière de cette responsabilité. Je pense que tante Anaïs me surveillait discrètement mais je ne m'en apercevais pas. Pour notre cuisine on avait installé une cuisinière à bois dont le tuyau passait à travers le plafond pour rejoindre la cheminée de la chambre située au-dessus. C'était un chauffage central primitif que nous apprécions beaucoup l'hiver.

Revenons à l'école. Un soir, y étant restée après quatre heures, on m'a invité à souper avec les pensionnaires. Je mangeais des lentilles avec des oeufs cuits dans de l'eau froide. C'est du moins ce que je racontais à maman, car j'avais vu qu'on les prenait dans un récipient placé dehors près de la porte du réfectoire, où on les avait mis à refroidir. Si après le déjeuner de midi on arrivait à l'école une demi-heure en avance on allait faire une promenade. Un jour, je racontais à ma maîtresse que j'avais trois grand-mères. Elle a essayé de m'expliquer qu'on ne pouvait en avoir que deux, mais je n'en démordais pas car j'avais encore mon arrière grand-mère Sophie Duranton qui venait nous voir quelquefois faisant le chemin à pied, 12 km environ. Papa nous emmenait aussi lui rendre visite au Mas de St Gervais une fois par an avec sa Torpédo. J'ai bien connu mon arrière grand-mère, quand elle est morte je devais avoir 8 ou 9 ans. D'autres fois nos maîtresses nous apprenaient à coller l'oreille sur la route afin d'entendre les vibrations que faisait l'autobus à bandages de caoutchouc dur qui venait d'Aurillac et qui avait remplacé la diligence; on l'entendait bien avant son arrivée.

De cette époque date la construction du barrage de Sarrans qui a été achevé et mis en service avec son usine vers 193328. Il a été inauguré par le président Lebrun. Il était à ce moment là le plus haut d'Europe.

Il vint de nombreux ouvriers de toutes nationalités pour sa construction. C'est ce qui m'a valu d'avoir de nombreuses amies polonaises, portugaises, espagnoles, italiennes.

Les jours de congé se passaient à jouer avec René, à nous occuper à conduire et aller chercher les vaches aux pâturages. On avait pris l'habitude de les fermer avec des barbelés et on les gardait rarement, sauf au communal près du ruisseau qui passait sous le pont du Mas. Là il nous arrivait souvent d'y patauger ou de pêcher loches, vairons ou écrevisses.

Maman allait beaucoup dans les champs et au jardin car papa n'étant pas très valide avait besoin de sa présence pour l'aider. A la maison il restait Anaïs qui nous racontait les histoires vraies d'autrefois. C'est grâce à elle que je connais le passé de la famille. Elle nous apprenait les contines et les chansons d'autrefois: Jean de la lune, l'alouette, dormez, Jean qui pleure et Jean qui rit.

La BARÈNE au premier plan de Ste Geneviève, telle qu'elle était quand je suis arrivé en 1921 de Paris. Remarquez que la maison d'Auguste est séparée de la maison de Guillaume par un petit hangar plus bas. C'est ce petit hangar que Jean Auguste démolit pour agrandir la grange de Guillaume

A la communion solennelle de Jeannette:

Derrière: Anaïs, Henriette, Rosalie Anaïs, Emilie, Marie

Devant: René, Germaine, Jeannette, Jean-Auguste, Gustou

René 2 ans et demi et Jeannette 5 ans

Travaux sur la Truyère

Barrage de Sarrans mis en service en 1933 et inauguré par le président Lebrun
En haut le lac puis le barrage: route dessus
En bas l'usine du Bousquet

Le pont du Mas sous la neige

Chapitre VIII

La haut sur la montagne, J'ai bâti ma maison

Avec un peu de paille, Et trois petits bâtons.


Refrain:

Je fais mon train sans me mettre en peine de rien

Je fais mon train

Je fais mon train


Je n'ai qu'une écuelle et trois petits cuillers

Je n'ai qu'une chemise et trois petits mouchoirs

Je lave la vaisselle trois fois dans la journée

Je lave la lessive tous les samedi soir


Je s'rai porté en terre simplement un beau soir,

Par 3 petits bonhommes tout habillés de noir.


Ils font leur train, sans me mettre en peine de rien

Ils font leur train, j'ai fait le mien


Yo29, abia un homeno, yo abia un homeno, puede be dire (bis)

Yo, abia un homeno, puede be dire qu'es pitcho.


Onbe30 un pan de tella, y faguere sies camijias

Omaï encara un camyiou


Onbe una cueta de cirieso, y faguere sies cadieras

Omaï encara un cadierou.


Se31 res plus n'on bésés

Attapa té on les pésés.


Ya des loups, Muguette, y a des loups, des loups qui te guettent

Y32 a des loups partout.


L'aiga33 bulida, sauva la vida, gasta lo pan,

Passa pel ventre et res y fa


Para34 lo lop, pichona, para lo lop (bis)

Para lo lop que te velho, que te velho

Para lo lop que te velho l'agnelo


Para lo cat, pichona, para lo cat

Para lo cat que te velho, que te velho

Para lo cat que te velho l'encalat.


Coqui35 de sort, las bragas so traucados et la camijia sort


Las Galinas

Plau et fa soulhel il pleut et il fait soleil
Las galinas so al froment Les poules sont au froment
Bailes aparar, boto visina. Vas les chasser « bouto » voisine
A non pas per una galina. Ah non pas pour une poule
Hier y anera et copera una camba. Hier j'y suis allée et je me suis cassé une jambe
Se uei y tornaba ne coparia l'altra. Si aujourd'hui j'y retournais je me casserais l'autre
Tot en y anen, trovera St Jian Tout en y allant, je trouvai St Jean
Que donaba des papas a sun efan Qui donnait de la bouillie à son enfant
N'y bolere prende una becada, Je voulus en prendre une becquée
Me seguet a cop de guliada Il me pousuivit à coup d'aiguillon




Out est la guliada Où est l'aiguillon ?
Lo fuac la cremada Le feu l'a consumé
Out est lo fuac Où est le feu ?
L'aigua la escantit L'eau l'a éteint
Out est l'aigua Où est l'eau ?
Lo taurel la beguda Le taureau l'a bue
Out est lo taurel Où est le taureau ?
Al fond del prat Au fond du pré
Out est lo prat Où est le pré ?
A raz del buosc A l'orée du bois
Out est lou buosc Où est le bois ?
La cabras l'au trépit Les chêvres l'ont piétiné
out son las cabras Où sont les chêvres ?
La vielha los a claussas La vieille les a enfermées
Out est le vielha Où est la vieille ?
Al fond de l'ort ome un ped drech et l'altre tors. Au fond du jardin avec un pied droit et l'autre de travers.

Complainte du petit berger

Solhello36, rodello Petit soleil, petite roue
Béni, pès de yo Viens auprès de moi
Non pas pès d'aqueses de l'ostal, Non pas près de ceux de la maison,
que n'au emboyat garda lo bestiau Qui m'ont envoyé garder le bétail,
Sans salli37 et sans mantel Sans veste et sans manteau,
Ombe un desparti que es pas gaire bel, Avec un goûter qui n'est guère gros
Un bossi de croto rabinat Un morceau de croûton brulé,
Que les catous au graupinhat Que les petits chats ont griffé,
Et un capel de palha Et un chapeau de paille,
Que los ausselos n'au facha la gazailla. Dans lequel les petits oiseaux ont fait leur couvée

Après mes 13 ans, j'allais continuer mes études à Rodez ainsi que René. Pendant les vacances je revenais à la BARÈNE. C'est à mes premières grandes vacances que Michel est né. J'étais très heureuse d'avoir un petit frère. J'avais 14 ans et je jouais à la petite maman. Les dimanches après midi nous sortions avec la torpédo, souvent des visites aux tantes, oncles et cousins, ou on allait voir les travaux du barrage de Sarrans. Je me souviens aussi du paysage avant que l'eau du lac ne l'ait recouvert. Ou bien maman nous prenait dans la campagne, et elle nous apprenait les plantes comme autrefois son cousin lui avait appris en Normandie. L'Automne il y avait les champignons. J'avais de nombreuses amies au village. Nous sortions ensemble en vélo, quelques fêtes et des promenades, surtout lorsque je quittais Rodez après mon brevet élémentaire à 17 ans. J'avais été une bonne élève puisque cette année là on m'a attribué un séjour gratuit, à Lourdes, avec un groupe de jeunes, en récompense. Le séjour a duré 10 jours avec des excursions à Gavarnie, au pic du JER et surtout à Biarritz où j'ai découvert l'océan pour la première fois.

Je restais ensuite à la BARÈNE et tante Anaïs est repartie vivre avec Rosalie-Anaïs et a travaillé à l'épicerie. Je m'occupais alors de la maison, de mon petit frère, puisque maman était beaucoup dans les champs. Maman aimait coudre et m'enseignait la couture les après-midi d'hiver, entre les soins aux bêtes à l'étable. J'ai pris aussi quelques cours de couture au village.

Lorsque j'avais à peine 20 ans, la guerre de 39-40 a commencé. Gustou était marié avec Aimée Besson; ils avaient un bébé. Ils habitaient avec nous à la BARÈNE avec le petit Germain. Gustou est parti à la guerre. Il a pu revenir, via Dunkerque et l'Angleterre.La guerre s'est étirée pendant cinq ans avec son cortège de restrictions, de réfugiés, d'occupation par les Allemands. J'avais un vélo et avec Michel sur le porte bagage nous faisions ainsi quelques promenades. Heureusement en dehors des jeunes morts à la guerre, et des prisonniers, il n'y a pas eu de drame au village pendant l'occupation et mes deux frères sont rentrés.

Ils ont repris leurs occupations38. On a pu acheter un deuxième vélo et notre première grande sortie avec Michel a été une expédition de 6 jours aux Gorges du Tarn et à l'Aigoual. Nous n'avions pas beaucoup d'argent, aussi nous avons couché dans les granges, mangé sobrement39 (le lait de chêvre acheté à la ferme et l'eau des fontaines). Nous avons pris contact avec les gens. Nous nous sommes sentis un peu comme des pionniers car les gens étaient un peu étonné de nous voir voyager ainsi. A cette époque c'était peu courant, mais nous avons bien goûté à la liberté retrouvée et nous avons appris des choses nouvelles. Nous avons pendant la guerre avec mes amies joué des pièces de théatre. Le produit de nos soirées était destiné à envoyer des colis de nourriture aux prisonniers de guerre. Nous avons continué après la guerre et nous avons pu faire un voyage avec l'argent recueilli à nos soirées.

C'est alors qu'Albert Rouquier de Farrebique, Goutrens, qui avait été prisonnier de 1940 à 1945 en Bavière,40 est venu travailler comme ouvrier boulanger à Ste Geneviève. Nous nous sommes rencontrés en Juin 1949. Nous nous sommes mariés le 11 Octobre 1949 à Ste Geneviève sur Argence. Nous sommes partis le soir même prendre le train pour Paris où nous avons commencé notre voyage de Noces chez Gustou, ce qui nous a permis de visiter Paris. Nous avons continué notre voyage dans le Tarn et Garonne où nous avons retrouvé les oncles et les tantes de maman. Après nous avons été à Toulouse où Albert avait ses deux soeurs Darie et Maria. Elles étaient toutes les deux religieuses au service de l'évêché. A notre retour nous avons cherché une boulangerie pour travailler. A ce moment là, Albert me racontait sa vie de prisonnier de guerre. Maintenant tout cela est presque oublié. C'est à St Jean la Bussière dans le département du Rhône que nous avons trouvé notre première boulangerie. Ce village se trouve entre Thizy et Amplepuis. C'est un pays de tissage et nous avons appris à dormir au bruit des métiers à tisser. Des ateliers étaient sous nos fenêtres et les artisans se relayaient jour et nuit pour tisser. A St Jean, on faisait surtout des foulards

C'est à la maternité de Thizy qu'est né notre premier bébé, Gabriel, le 21 Septembre 1951. Il avait 7 ou 8 mois quand nous avons quitté St Jean. Nous sommes revenus dans l'Aveyron. Nous avons acheté un ancien batiment de ferme à Huparlac. Il a fallu recreuser le puit, transformer l'étable pour en faire un fournil et faire contruire le four. Pour le logement et la boutique nous avons aménagé avec des cloisons de planches la petite remise attenante.

Voici la maison avec la cheminée du four et la porte du garage. En avant la fontaine sur la place, où Gabriel a failli se noyer lorsqu'il avait 4 ans. C'est Claude Alazard 14 ans qui l'en a tiré.


Notre clientèle s'est faite rapidement. La boutique à Huparlac et les tournées dans les villages et fermes d'alentour nous procuraient un gros travail. Il y a eu des années bonnes et d'autres moins bonnes. Nous avons aménagé le rez de chaussée et le premier étage pour nous loger plus confortablement . Jean-Michel, Christiane et Dominique sont nés respectivement en 1955, 1960 et 1962.

C'est au moment où tout allait bien du coté du métier que l'asthme de Jean Michel et de Christiane a tout remis en question. L'asthme était provoqué par une allergie à la poussière de farine. Nous avons trouvé un gérant et nous sommes partis vers Rodez. D'Huparlac nous gardons le souvenir des sorties du dimanche après midi, dans la campagne pour satisfaire un grand besoin d'air pur pour tout le monde. Nous avons découvert l'Aubrac, Chaudes-Aigues, les Vallées d'Estaing et d'Entraygues, les gorges du Tarn et même le Puy Mary et le Plomb du Cantal, les lacs de la Truyère. Nous n'oublierons jamais non plus les tournées d'hiver dans la neige. Albert devait partir avec des pelles au cas où les congères de neige auraient coupé la trace des chasse-neige. La camionette était bien pratique aussi pour les sorties d'été. On pouvait y loger tout le monde, même le landau, le pique nique du soir. On rentrait au milieu de la nuit. Les enfants dormaient et nous pouvions parler tranquilement. Le lundi Albert ne travaillait pas. Les autres jours il se levait vers 4 heures du matin pour travailler la pâte qu'il avait pétrie le soir avant de se coucher


Albert Rouquier et Jeannette Turland

Le village de bayrischzell où Albert était prisonnier de guerre

Albert en promenade dans les montagnes de Bavière

Albert avec un camarade

Albert avec deux enfants d'une ferme de bayrischzell où il travaillait

Mariage de Albert et Jeannette, a Ste Geneviève, le 11 Octobre 1949

St Jean la Bussière

Communion Solennelle de Gabriel en Juin 1963.

Albert et ses quatres enfants en promenade

Tournée du pain héroïque au milieu des congères de l'Aubrac

Albert au fournil d'Huparlac

Jeannette à la boutique

Dominique sur la route des Attizals

Adieu pétrin, adieu boutique, en arrivant à Rodez Albert a trouvé du travail à l'usine qu'on appelait alors Cantarane et qui est maintenant devenue l'usine Bosch. Nous avons habité à la maison des Attizals près du Monastère sous Rodez. Peu de temps après notre arrivée à Rodez, mon père Jean Auguste est mort. Nous avons passé notre premier hiver aux Attizals mais il faisait si froid au bord de l'Aveyron que nous avons cherché un autre logement.

L'automne suivant, nous avons trouvé un appartement de quatre pièces en bas de la rue de Montcalm. L'appartement était moderne, bien chauffé, au troisième étage avec un petit balcon. Nous y sommes restés quatre ans. Les écoles étaient proches et les problèmes d'asthme avaient disparu. C'est alors que nos gérants d'Huparlac ont demandé à acheter notre boulangerie. Nous la leur avons vendue. Pour utiliser cet argent, Albert a décidé de chercher une maison dans Rodez.

Nous avons acheté une maison, 7 Rue Gayrard près de la place de la Madeleine. Elle était dans le centre ville. C'était bien pratique pour la vie de tous les jours. Les magasins et les écoles étaient à proximité. C'était en 1966. Cette maison avait de grandes dépendances. Nous pensions bien en profiter pour monter une petite fabrique de fouaces. Albert a acheté un petit four électrique et a commencé de faire un essai tout en continuant de travailler comme ouvrier. Cet essai a été concluant. Il a décidé au bout d'un an d'arrêter son travail en usine. Ensuite il a acheté un four plus grand et la fabrication en gros a démarré. Nous avions une certaine inquiétude à cause des poussières de farine. Mais comme nous habitions deux étages au-dessus, tout s'est bien passé pour la santé. Il livrait sa fabrication dans les magasins de Rodez41 et même quelque temps à Decazeville et Villefranche.

Ma maman Germaine quelque temps après la mort de papa est venue habiter avec nous. Elle est restée avec nous une dizaine d'années, partageant la vie de famille. Elle est restée valide jusqu'à sa mort, le 7 Janvier 1978.

Nous avions déjà prévu où passer notre retraite qui approchait. Nous avions commencé la construction d'une maison à St Christophe-Vallon. Nous avons fait beaucoup de travaux nous mêmes. Les après midi, quand il n'y avait pas de gâteaux à livrer, nous venions travailler à la maison. Maman nous accompagnait quelquefois. Après avoir réparé la maison de Rodez pour pouvoir la louer nous sommes venus habiter le lotissement «Les Bruyères» à St Christophe-Vallon aux Pâques 1980..

Rue de Montcalm

La rue Gayrard vue de notre balcon

Albert ,avant de quitter Rodez, les derniers temps de travail dans le laboratoire de pâtisserie, 7 rue Gayrard

La maison de St Christophe en 1977

Depuis Albert va à la pêche et jardine. Jeannette fait pousser des fleurs, coud et tricote. Quelquefois elle s'essaie à la peinture. Tout deux, ensemble font quelques voyages et tant d'autres choses encore qui ne peuvent entrer dans ce livre



notes

  1. Murielle et Christophe.
  2. rédigé par Michel Turland
  3. On dit « confites », en fait en occitan on dit « coufidos ».
  4. L'orthographe correcte est BARÈNE. C'est ainsi qu'elle figure officiellement sur le Cadastre et les diverses cartes. On peut traduire par le français VARENNE liés à des terrains peu fertiles, sableux (à l'origine -prélatine- grèves en marge des rivières, friches, ..)
  5. En patois de Laguiole, on prononce trèbò, et trèba en occitan « standard ».
  6. Le chateau du Mas, du XVIII-XIXe, n'est pas un ancien chateau fort. Sur le sommet voisin, un gros tumulus à blocs, « lo Tòurré del Mas » pourrait être l'ancien chateau fort.
  7. En fait quand Auguste mourût, Jean Auguste faisait son service militaire (3 ans) au 27ème chasseur alpins à Menton. Il m'a raconté qu'il était venu en catastrophe, faisant les 50 km d'Espalion (terminus du train) à Ste Geneviève à pied dans la nuit.. pour arriver bien tard.
  8. Il faudrait parler des époux FERRIÉ qui pendant de longues années (avant la guerre) ont travaillé et habité à la Barène. Il y avait, au dessus de la pièce qui se trouve à droite en rentrant, un petit appartement où ils habitaient. Ensuite, jusqu'en 1948, il y a eu le père BES.
  9. Je me souviens qu'elle avait alors organisée sa succession dans le détail; y compris les objets souvenirs, gardant jusqu'au bout sa dignité et son autorité naturelle, dans la sérénité de sa foi.
  10. Il y avait un instituteur remarquable, Mr PEGORIER (père de Marie Pegorier qui a tenu l'harmonium à Ste Geneviève jusqu'après la guerre).
  11. Dans nos campagnes, l'étude était effective de novembre à mai pour les petits paysans.
  12. Bougnats: précisemment commerce de vins et charbons.
  13. »Aux Rendez-vous des Employés de l'Etat » (la compagnie de chemin de fer de l'Etat, qui desservait l'Ouest de la France).
  14. L'auteur de ces notes de bas de page.
  15. La SEQUANAISE, aujourd'hui l'UAP.
  16. Il affectionnait particulièrement le répertoire « Comique troupier » et excellait dans les monologues.
  17. C'était un amateur d'antiquités, de meubles anciens, de serrures, dont quelques pièces sont restées dans la famille. Il y avait encore à la Barène, une grosse malle de marin qui lui appartenait.
  18. A l'époque, on a parlé de « phtisie galopante ».
  19. Quand on regarde la maison d'en dessous, (Ouest), l'étable est à droite. Pour éviter toute ambiguité mettons au Sud Est. Elle était à gauche en sortant de la maison.
  20. L'habitude était que trois jours après la naissance, la nourrice venait chercher le bébé pour l'élever au pays.
  21. Autre oeuvre de Gustave Eiffel construite pour l'Exposition, comme la Tour, mais qui fut démontée ensuite.
  22. A la demande de Jeannette, j'ai écrit ce que je me rappelle des récits de ma mère concernant son séjour en Normandie, puis à la Vigne, en intégrant et complétant le texte de Jeannette. (Michel Turland)
  23. Bien plus tard, pour René en particulier, elle résolvait des problèmes ardus d'arithmétique, mentalement, sans quitter sa cuisinière...)
  24. Phonétiquement on est coincé. La phonétique du français n'est guère applicable: ça donne ò ou ri ò ou.
  25. C'est cette année là (ou 1912?) que les premiers géomètres vinrent « explorer » le site de la future centrale hydroélectrique de Brommat.
  26. Ses parents souhaitaient qu'elle se marie bientôt. Mais elle rejette catégoriquement le premier prétendant qu'on lui présente, vers 16ans.
  27. D'un bleu-gris, très clair en fait.
  28. Les travaux ont duré de 1928 à 1933. L'inauguration par le président Albert Lebrun a eu lieu en 1933 (Juin?). Source: M Galerand, chef d'usine EDF du Brezou (Brommat) 29-10-96.
  29. Moi, j'avais un petit homme, moi j'avais un petit homme, je peux bien le dire (bis)
    Moi, j'avais un petit homme, je peux bien dire qu'il est petit.
  30. Avec un pan de toile, je lui ai fait six chemises
    et encore un chemisou (petite chemise).
    Avec une queue de cerise, je lui ai fait six chaises,
    et encore un « cadieïrou » (petite chaise).
  31. Si rien plus ne vois
    Rattrape-toi avec les pois.
  32. ou bien: « qui font hou! hou! hou! »
  33. L'eau bouillie, sauve la vie, gâte le pain,
    Passe par le ventre et rien n'y fait (est sans effet).
    (l'aiga bulida est une soupe faite avec de l'eau et des oignons frits.)
  34. Chasse le loup, petite, chasse le loup (bis)
    Chasse le loup, qui te guette, qui te guette,
    Chasse le loup qui te guette l'agnelet.

    Chasse le chat, petite, chasse le chat (bis)
    Chasse le chat, qui te guette, qui te guette,
    Chasse le chat qui te guette le lait caillé.
  35. Coquin de sort, les pantalons sont troués et la chemise sort!
  36. Phonétique: Soulillou, roudillou.
  37. salli: dérivé de la « saie » des gaulois (comme los brágos » (pantalons) est dérivé de la « braie » gauloise). Terme d'usage courant. Mais quel est sa traduction précise? gilet, paletot, pelerine ... ? Rien dans TOURNIER (Quercy).
    Saie: manteau court en laine, vêtement militaire des Romains et des Gaulois, que l'on attachait sur les épaules au moyen d'une broche (Larousse).
  38. à la centrale hydro-électrique de Sarrans (SFMT, puis EDF après les nationalisations)
  39. Un peu plus quand même!
  40. Il est resté assez longtemps dans une ferme à BAYRISCHZELL, une station alpine, près de Garmisch Partenkirchen, près de la frontière avec l'Autriche.
  41. Des magasins de détail , mais aussi des grandes surfaces comme Conforama.

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